Norah Benarrosh-Orsoni
3 min readDec 26, 2021

Tu ne sais pas trop d’où elle est arrivée, si elle a grimpé la façade de l’immeuble à la force de ses bras ou si elle est descendue par le toit mais ce qui est sûr c’est qu’elle est entrée par la fenêtre. Elle t’a regardée bien en face de ses deux yeux avant de sortir son sabre et de briser la vitre d’un coup de pommeau. La peur ça paralyse alors tu n’as pas bougé et autour de toi les éclats de verre ont traversé la pièce.

Elle est entrée et tu l’as reconnue alors tu as détourné le regard pendant qu’elle s’asseyait en face de toi. Elle a posé ses armes sur la table basse et défait un peu sa ceinture, le pied gauche sur le genou droit et la tête reposant dans sa main, elle a installé ses yeux froids sur toi.

Et dans le silence qui se prolonge elle finit par te dire regarde-moi mais tu ne peux pas, les paupières lourdes, la pensée figée tes yeux ne quittent plus la vitre éclatée les plantes les immeubles les toits, même le bruit des voitures si tu pouvais le voir.

Elle répète regarde-moi bordel je suis là, et dans un effort tu lèves les yeux et c’est bien elle et tu es bien coincée, la poitrine affaissée, les doigts engourdis, la terreur qui te colle à ton siège et te plâtre tout ça. Elle s’avance un peu, les coudes sur les cuisses pour bien te faire comprendre, je suis là et si tu ne te décides pas à me faire parler, je vais taillader les coussins les tissus le bois, tout ce qui me tombe sous la main. Regarde-moi bien et fais-moi parler.

Alors en faisant de ton mieux, un peu lâchement pour commencer tu extirpes la plus petite chose, la plus récente, la moins effrayante de toutes tes trouilles et tu l’articules en quelques mots courts et creux qui lui font lever les yeux au ciel. Elle plonge une main dans les plis de sa ceinture, en sort une liasse de papiers et commence à parler.

Tu l’écoutes et ça ne fait pas trop mal, mais il y a cette liasse épaisse et noire d’encre et tu comprends que tu n’es pas sortie d’affaire, la liste est longue de toutes les trouilles à déplier, à écouter ta Peur elle-même t’en raconter les détails, ses yeux noirs plantés dans les tiens. Toutes tes terreurs elle te les rend, petits papiers humides qui passent dans le creux de ta paume et finiront cousus dans le fond de ta poche, ni bouclier ni amulette, bagage invisible.

Et quand tu auras fini de les égrener, quand elle t’aura peinturluré le visage et le corps de tous ces mots alors, épuisée et affamée tu sortiras dans le monde pendant qu’elle s’allongera sur ton lit, et quand tu rentreras elle sera là et sous la même couverture vous dormirez l’une contre l’autre.